Le blocus de Beyrouth, Paris, 1982

La dernière lettre que ma mère a écrite à Elias est restée sans réponse. L’armée israélienne a envahi le Liban. Tsahal est arrivée jusqu’à Beyrouth et a encerclé la ville. Elle l’a divisée encore plus qu’elle ne l’était. Beyrouth-Est et Beyrouth-Ouest ne se sont jamais autant fait face. À l’Est, les forces chrétiennes et leurs alliés israéliens, et à l’Ouest, les forces musulmanes, les milices de gauche et les fedayin palestiniens.

L’armée israélienne a imposé aux habitants de Beyrouth-Ouest un blocus d’une violence rare qui restera ancré à jamais dans la mémoire des Beyrouthins.

La réalisatrice Jocelyne Saab (qui avait filmé les enfants qui jouent à la guerre) a réalisé un documentaire sur le sujet. Le film débute par la visite d’une maison détruite où Jocelyne apparaît, jeune et belle, debout dans ces ruines, un micro à la main : « Voilà, c’est ma maison. C’est ce qu’il en reste. »

S’ensuivent des plans macabres de corps d’adultes, d’enfants et de bébés carbonisés dans une ville divisée, une ville qui vit au rythme des bombes et où les arbres ne sont plus que des troncs sans branches. À la vue de ces arbres, le poète palestinien Mahmoud Darwich écrira dans son journal sur ce siège : « Est-ce que j’ai pleuré ? J’ai évacué un flot de sel, le sel de ces sardines, mon unique nourriture depuis des jours. Les avions n’arrivent plus à m’effrayer, pas plus que l’héroïsme ne réussit à m’animer. Je n’aime personne, je ne hais personne, je ne veux personne. Je ne sens rien, ni personne. Je suis sans passé ni avenir. Sans racines ni branches. Seul comme cet arbre abandonné sur un rivage ouvert au vent du large où se déchaîne la tempête. »

Elias avait réussi à fuir dès le début du siège Beyrouth-Ouest où il se cachait des phalangistes pour se réfugier dans la maison de famille située dans la banlieue chrétienne.

 

« Mon cher Elias, avait écrit ma mère, dis-moi tout. Elias, le téléphone ne marche pas. Tous les jours j’essaye trois heures de suite sans résultat.

Elias, papa continue à travailler ?

Je sais que rien ne va plus, ni le travail, ni la vie dans ce pays de merde… Elias, essaye de trouver un travail ailleurs, comme salarié ou change quelque chose… pourquoi tu continues à te mêler de politique… je suis inquiète pour toi. Si quelqu’un de vous pourrait avoir l’amabilité de m’écrire avec un peu de détails… j’ai l’impression que vous vivez dans la complète merde et que toujours il y a cette tension à la maison, tu sais il me semble que vous n’avez aucun moyen de tranquillité… en tout cas pour moi ça ne change rien ça s’ajoute à mon angoisse de vous savoir dans cet état.

Tes amours aboutissent-ils à quelque chose ?

 

Elias,

Kaïssar et moi proposons de vous donner de l’argent. Retire autant que tu veux et fais-nous ce plaisir. Elias, c’est un service que tu nous rends. Nous sommes loin et nous ne pouvons rien faire, ni vous rendre aucun service, ni vous soulager de quoi que ce soit. Elias, je t’en prie, sois simple une seule fois de ta vie (c’est un ordre ! Je suis ta sœur, tu es obligé de faire ce que je te demande). Je n’ose pas le dire ni à maman, ni à papa… S’il te plaît ! (Ne vous foutez pas de nous !) C’est tout ce qu’on peut faire quand on est loin.

Je vais continuer à téléphoner tous les jours jusqu’à ce que je puisse vous joindre.

Je vous embrasse tous.

Faites attention à vous tous.

À bientôt.

Vous me manquez tous…

Ta sœur »